La résidence universitaire qui divise
Idéalement dès 2027, au plus tard à la rentrée 2028, le Crous compte créer une résidence universitaire de 500 logements place d’Islande. Sa directrice, Sophie Roussel, présentait vendredi le projet aux riverains, dans le cadre d’une consultation citoyenne initiée par le Crous. Pas sûr, néanmoins, que cela suffise à tous les convaincre du bien-fondé du projet en ce lieu. –Valérie Walch
Sophie Roussel, directrice générale du Crous, lors de la consultation citoyenne sur la place d’Islande, ce vendredi 12 avril. – Photo Thomas Toussaint
La météo avait beau se prêter aux apéros en terrasse bien plus qu’aux réunions publiques à rallonge, quelque 70 personnes – riverains, élus et étudiants confondus — assistaient vendredi soir au Resto U de l’Esplanade à la présentation du projet de résidence étudiante porté par le Crous, place d’Islande. Histoire aussi de voir, pour une partie d’entre elles, dans quelle mesure il est encore possible de contester et/ou d’amender le projet…
Un déficit de 1 500 logements
D’ici la rentrée 2027, au plus tard 2028, le Crous veut ouvrir sur cette parcelle de 3 520 m2 , propriété de l’État, une résidence universitaire de 500 logements. Une construction « nécessaire », estime sa directrice, Sophie Roussel, face à un parc social saturé et à un nombre d’étudiants « en hausse de 34 % sur dix ans pour la seule Unistra ». Avec 65 000 étudiants en 2022/2023, les 4 900 logements du parc du Crous ne suffisent pas à répondre à la demande. « Nous en logeons 7,5 %, alors que l’objectif est de 10 % », précise la directrice du Crous, estimant le déficit actuel à « 1 500 logements sur le territoire de l’EMS ».
Voilà pour le contexte. Sur le fond, la résidence en question – pour laquelle aucun visuel ni projection de hauteur d’immeuble n’ont pour l’heure été dévoilés — devrait compter 500 studettes de 12,5 et 16m2 , ainsi que de nombreux espaces collectifs, type cuisines partagées, salles de sport, de convivialité ou d’étude, « pour lutter contre l’isolement ». Le Crous promet une construction à haute performance énergétique et une prise en compte des îlots de chaleur, une « insertion harmonieuse » et « des espaces extérieurs qualitatifs » ; le tout, moyennant un investissement de 40 M€. Le projet sera subventionné à hauteur de 18,2 M€ (5 M€ dans le cadre du Contrat de plan État-Région, 4 M€ de l’EMS et 9,2 M€ du Centre national des œuvres universitaires et scolaires), un emprunt venant compléter le financement.
La place d’Islande. – Photo Thomas Toussaint
Une consultation « poudre aux yeux » ?
Ceci posé, reste à assurer l’« insertion harmonieuse de la résidence dans le quartier ». C’est là que le bât blesse. Pour une partie des riverains, la « consultation citoyenne » initiée par le Crous avec l’appui de la Ville et de l’EMS – comme l’ont rappelé les interventions de Caroline Zorn et Suzanne Brolly —, n’est que poudre aux yeux, même si elle est organisée en amont de la conception architecturale. Car si la réunion publique de vendredi constituait le premier jalon et qu’un questionnaire en ligne est accessible en parallèle, le champ se cantonne à des thématiques ciblées : le stationnement, la mobilité et les circulations piétonnes sur la parcelle ; les espaces verts et les aménagements extérieurs ; les équipements ouverts sur le quartier ; les interactions souhaitées (ou non) avec les futurs étudiants. Or, cette résidence, en ce lieu, nombre de riverains n’en veulent pas (du tout) et le font savoir de longue date. La création d’un collectif pour une place d’Islande verte et plusieurs actes symboliques, type plantation d’arbres et émergence de potagers, en ont déjà témoigné.
L’Adiq, porte-voix des opposants au projet
Dans le même esprit, Jean-Luc Déjeant, le président de l’Association de défense des intérêts des quartiers Centre-Est de Strasbourg (Adiq), a dénoncé la forme de la réunion, où le Crous – pour désamorcer l’opposition ? – proposait à l’issue de la présentation plusieurs stands autour de tables et d’une nuée de Post-it, histoire de rassembler des contributions « qui seront ensuite intégrées à la consultation ». « Nous n’y participerons pas ! Nous ne sommes pas contre une nouvelle résidence étudiante. En revanche, nous sommes opposés à la bétonisation d’une place publique dans un quartier déjà très dense. Et nous ne comprenons pas que la Ville défende ce projet ici, alors qu’il y a des alternatives ailleurs ! » s’agace-t-il sous les applaudissements nourris d’une partie de la salle, prophétisant déjà l’apparition « d’un nouvel îlot de chaleur ». « Ce que vous voulez, c’est diviser pour mieux régner ! » cingle un autre riverain, pas plus enclin à discuter.
Nicolas Matt. – Photo Jean-François Badias
Des alternatives au Port du Rhin ?
Nicolas Matt a amené de l’eau à leur moulin, estimant que d’autres terrains existent au Port du Rhin, « du côté de la parcelle de la pointe, de l’îlot Starlette, de la parcelle Triangle/Villa Fischer ; appartenant à la Ville de Strasbourg/EMS, ou à la SEM du Port autonome. […] Ces parcelles sont plus grandes, à proximité des transports en commun. Il est donc possible d’imaginer 800 à 1 000 logements type studettes ! » estime-t-il. « Par ailleurs, densifier la place d’Islande aux portes du QPV Spach est un non-sens absolu, à l’inverse de ce qui se fait partout en France et aussi à Strasbourg. La tendance est de dédensifier les QPV, pour mieux irriguer et rendre les quartiers plus agréables à vivre. La Ville de Strasbourg, dans sa paresse et son mépris des territoires en difficulté, manque une vraie occasion : faire un transfert de domanialité avec l’État et aménager la place d’Islande en vrai parc urbain avec équipements légers pour le quartier », propose-t-il… « Même si avec lui, on se demande toujours quelle partie s’exprime : le vice-président de l’Université, l’élu de la CEA ou l’opposant à la municipalité ? Ils devraient se parler et se mettre d’accord ! », persifle en aparté l’adjoint Guillaume Libsig…
Un questionnaire en ligne jusqu’au 12 juin
La présentation terminée, l’auditoire s’est divisé en deux camps a priori irréconciliables : ceux qui ont boudé les stands au profit du buffet ; et les autres, parmi lesquels quelques étudiants et des riverains favorables au projet – car oui, il y en a aussi. Si certains craignent pour la sécurité, la hauteur du bâtiment, ou crient à l’hérésie, estimant qu’il y a déjà « beaucoup trop de béton dans ce quartier », d’autres préfèrent voir le verre à moitié plein et partager leur vision d’une « insertion harmonieuse ». Importance de maintenir une traversée, installation d’une recyclerie, d’ateliers collaboratifs ou de locaux associatifs en rez-de-chaussée, création de terrasses suspendues plantées, mise à disposition d’une station d’autopartage, proposition d’aide aux devoirs ou ouverture des futures salles de sport sur le quartier sont autant de pistes à explorer… Les citoyens ont jusqu’au 12 juin pour donner leur avis et proposer leurs idées via le questionnaire en ligne sur le site du Crous.
© Dernières Nouvelles d’Alsace, 15 avril 2024. – Tous droits de reproduction réservés