Les deux tours faisaient grise mine depuis quelques années. Photo DNA /Cédric JOUBERT
À l’Esplanade, les Gémeaux retrouvent leurs couleurs d’origine
Elles font partie des toutes premières tours construites dans les années 1960 avenue du Général-de-Gaulle et marquent la « frontière » entre la Neustadt et l’entrée de l’Esplanade. Les copropriétaires des Gémeaux 1 et 2 ont décidé de profiter d’un ravalement de façade pour rendre aux deux immeubles leurs couleurs initiales et un peu de leur lustre.
Par Valérie WALCH
Les avez-vous déjà remarquées ? Aux n° 1 et 2, avenue du Général-de-Gaulle, deux « tours jumelles » se font face. « Ce sont les sentinelles qui veillent sur le quartier », analyse le syndic de copropriété, Claude Lobstein, du cabinet Laemmel. « Deux totems, qui balisent l’entrée de l’Esplanade et font le lien avec la Neustadt », ajoute Marc Maetz, copropriétaire et président du conseil syndical. Leur nom ? Les bâtiments ont été baptisés « Gémeaux 1 et 2 ».
« L’arrêté portant permis de construire date de novembre 1963. Les deux immeubles ont été construits entre 1964 et 1967, selon les plans de l’architecte Édouard Kah (un élève de Stoskopf, NDLR) », apprend-on sur le site Archi-Wiki. Habitation Moderne en était le maître d’ouvrage. Chacun comptait « vingt logements, dix trois pièces de 80 m² et dix cinq pièces de 130 m², ainsi que des locaux commerciaux et 27 garages souterrains ».
Des marqueurs de l’identité du quartier
Ces dernières années, les deux tours faisaient grise mine, le temps et les éléments ayant entamé leur implacable travail de sape… Mais ça, c’était avant. Depuis quelques semaines pour l’une, et d’ici quelques mois pour l’autre, elles ont (/auront) retrouvé leurs couleurs d’origine. Pas question, ici, de passer à la machine et de faire bouillir, mais de décaper et de repeindre, en tâchant de se rapprocher au plus près des tons utilisés dans les années 1960.
Une manière de rappeler que, même si elle n’a pas le prestige de la Neustadt ni la touche « éco » et innovante du quartier Danube qui l’encadrent, l’Esplanade aussi a une histoire, une identité et des atouts à faire valoir. Ces tours en sont les marqueurs. D’autant que les cités imaginées par Charles-Gustave Stoskopf, rappelait le 12 janvier dans les colonnes des DNA son fils, l’historien Nicolas Stoskopf, « étaient construites autour de grands axes et de perspectives terminées par des tours. À l’Esplanade, son idée était de réaliser une sorte de pendant contemporain de la Neustadt, sur les mêmes principes ».
Même s’ils sont aujourd’hui séparés par le tram, les deux Gémeaux composent une seule et même copropriété, et il aura fallu la nécessité d’un ravalement et du temps pour convaincre tous les copropriétaires de l’intérêt de ce retour aux sources un peu fou. « Ce projet, c’est le résultat d’un travail de fond entamé avec le conseil syndical il y a plus de quatre ans », explique Claude Lobstein, qui s’est impliqué aux côtés des propriétaires motivés et du maître d’œuvre, Frédéric Truntzer (Collectivités Services), pour le voir aboutir.
Tout est parti d’une carte postale
Tout est parti d’une carte postale d’époque dénichée sur Internet par le président du conseil syndical. C’est ce document – où ne circulent encore ni tram, ni guère de voitures, mais déjà un vélo ! –, qui a servi de base aux études de colorimétrie, complétées par des recherches historiques aux archives départementales. Attache a également été prise avec les architectes des Bâtiments de France, « qui ont été séduits par l’idée », précise le maître d’œuvre. D’autres, comme Étienne Boulanger, copropriétaire et professeur d’arts appliqués retraité, se sont pris au jeu et ont eu envie de « redonner du peps » aux tours, sur lesquelles plane à ses yeux « l’esprit de Le Corbusier ». Sans oublier les précieux artisans. Frédéric Truntzer salue un projet « où tout le monde est allé dans le même sens, sans quoi rien n’aurait été possible, ce qui est assez rare pour être souligné ».
Les travaux ont commencé par la tour des Gémeaux 1, celle qui abrite encore au rez-de-chaussée un tabac-presse. L’immeuble a d’abord été décapé et débarrassé des stigmates du ravalement précédent, qui remontait à environ 25 ans. Cela a permis de mettre au jour les tesselles de céramique qui, selon la mode de l’époque, ornaient à l’origine les façades entre les balcons. Les reproduire aurait coûté trop cher et eût été trop contraignant. « Mais elles ont été piquées et sondées, puis les équipes ont refait un lissage et posé un filet », détaille Frédéric Truntzer. Côté couleurs, tout en nuances, ce sont les teintes « ombre liège », « ocre daumesnil » et « blanc duroc » de la Seigneurie (une entreprise locale) qui ont été retenues, après une tentative avortée version « religieuse au chocolat ». « Au final, on n’y est peut-être pas tout à fait, mais je dirais qu’on approche à 90 % les couleurs d’origine », estime l’entrepreneur.
L’étanchéité de tous les balcons a également été revue et ils ont été habillés d’une « moquette de pierre » (mélange de granulat de marbre et de résine). En pied d’immeuble, les façades en marbre ont été décrassées et polies « et les deux murs de retour seront couverts de plaques de granit noir », précise encore le maître d’œuvre. En attendant peut-être un jour, de s’atteler aux intérieurs… « Mais ce n’est pas pour tout de suite », précisent en chœur les copropriétaires.
Six mois de travaux, trois semaines de montage et de démontage d’échafaudages, un investissement substantiel et plusieurs centaines de mètres cubes de peinture plus tard, l’immeuble de onze étages et 35 mètres de haut est enfin débarrassé de ses échafaudages. La tour Gémeaux 1 a été livrée à la mi-janvier. Et force est de constater que les « anciennes nouvelles couleurs », par le jeu de contrastes qu’elles créent, mettent beaucoup mieux en valeur le côté très graphique de la construction. François-Joseph Clerc, qui habite le quartier depuis 40 ans, apprécie les finitions et le coup de jeune, et trouverait presque à son immeuble « un petit côté art déco » !
De l’autre côté de l’avenue, les travaux devraient démarrer début mars sur la tour Gémeaux 2, pour une livraison espérée cet été. Les deux « totems » auront alors renoué avec leur histoire et retrouvé leur vocation de « phare ». De quoi inspirer d’autres projets dans le quartier, espèrent les copropriétaires.
© Dernières Nouvelles d’Alsace, 19 février 2022. – Tous droits de reproduction réservés