Esplanade : l’avenir du quartier (et du QPV) se dessine autour d’un café
Après la Cité de l’Ill et le Neudorf la semaine dernière, Jeanne Barseghian et son équipe conviaient ce jeudi les habitants de l’Esplanade à un « Café avec la maire », place de l’Esplanade. L’occasion d’évoquer la future bascule d’une partie de l’Esplanade en Quartier prioritaire de la ville et – surtout — d’écouter les doléances des riverains.
Valérie WALCH
Ce jeudi matin, plusieurs dizaines d’habitants de l’Esplanade sont venus dialoguer avec la maire, et parfois l’invectiver, autour d’un café place de l’Esplanade – Photo DNA /Franck KOBI
C’est jour de marché, ce jeudi, place de l’Esplanade. Pas franchement l’affluence des grands jours, ni du côté des marchands, qui se comptent sur les doigts d’une main et semblent un peu perdus sur le vaste parvis, ni de celui des riverains, rares à être descendus des barres voisines faire le plein de vitamines. Sous une tonnelle, des agents de la Ville servent café et jus de fruit aux rares passants. Ils attendent Jeanne Barseghian, qui a convié les Esplanadiens à un « Café avec la maire », comme elle le fait depuis quelques semaines dans les quartiers strasbourgeois. « Franchement, 9 h 30, c’est quoi cet horaire ? Ils sont fous ! Comment voulez-vous que les gens puissent se libérer ? » s’agace une riveraine qui fait pourtant partie de la soixantaine de personnes à s’être déplacées.
Car sitôt la maire sur le parvis, la foule afflue malgré tout, sortie de nulle part, comme si elle avait guetté son arrivée du haut des immeubles. Bientôt, un cercle se forme dans une ambiance plutôt hostile, voire ouvertement agressive. (Presque) tous sont venus déverser leurs doléances et/ou leur désespoir, quitte à évoquer des sujets qui ne sont pas tous du ressort de la maire. Politique d’attribution des logements chez Ophéa, quand on vit « à six dans un 60 m2 » ; difficultés administratives, pour cette jeune femme béninoise mariée à un Français et maman d’un enfant de quatre ans, qui attend sa naturalisation depuis plus d’un an et n’a aucune nouvelle d’une préfecture qu’elle n’arrive même pas à joindre.
Un QPV « Jura – Citadelle » dans le prochain Contrat de ville
Les échanges ont parfois été animés – Photo DNA /Franck KOBI
Les généralités, ils n’en ont cure, même s’ils savent gré à la maire de venir les rencontrer, « et même si ce n’est que la deuxième fois du mandat », raille une habitante. Dans sa brève prise de parole – elle est d’abord venue écouter —, Jeanne Barseghian parle « urgence climatique et sociale », importance de « relier les enjeux de fin du monde et de fin du mois », politique globale et « équité territoriale ». « Dans ce mandat, nous voulons faire plus pour les quartiers qui en ont le plus besoin », insiste-t-elle.
Comme pour illustrer son propos, elle confirme aux habitants – même si pour l’heure, aucun décret officiel n’est encore paru — qu’une partie de l’Esplanade basculera en Quartier prioritaire de la Ville dans le cadre du prochain Contrat de ville. De ce « QPV Jura – Citadelle » qui concernera plusieurs milliers d’habitants et dont les contours exacts « sont encore en cours d’arbitrage », elle ne dira guère plus pour le moment. Seulement que si le terme QPV « peut faire peur » dans ce qu’il dit de la paupérisation d’un quartier, ce classement ouvre aussi – surtout — l’opportunité de moyens supplémentaires « pour contribuer à améliorer la vie quotidienne des habitants ».
Devenir du centre commercial, qui peine toujours à se départir de son image de serpent de mer, tant les montages sont compliqués et les recours assurés ; ouverture prochaine de la ligne G du BHNS , « qui permettra de relier la gare en desservant tous les grands équipements publics » ; projet de quartier « Esplanade 2030 », mené par l’élu référent Patrice Schoepff, présent lui aussi, au même titre que plusieurs de ses collègues et qu’une direction de territoire pleinement mobilisée. Toutes ces questions intéressent les riverains. Mais pas autant que la cohabitation piétons/cyclistes – ces derniers en ont une fois encore pris pour leur grade, priés qu’ils sont de rouler au pas, « à défaut de connaître le Code de la route ». Les difficultés de circulation, notamment pour sortir de la rue d’Ankara, ou aux abords des nouvelles « rues écoles » du quartier, le ballet incessant des livreurs place de l’Esplanade et, surtout, les trafics divers et variés et les nuisances associées les préoccupent bien plus.
Le trafic au cœur de tous les problèmes
Accompagnée par Patrice Schoepff, l’élu en charge du quartier, Jeanne Barseghian est venue rencontrer les habitants de l’Esplanade. – Photo DNA /Franck KOBI
À écouter les habitants, c’est là qu’est le nœud, l’objet de toutes les crispations, ce qui pourrit l’ambiance du quartier… « On ne peut rien dire ! Si on intervient, on nous insulte, on nous menace et on nous balance des mortiers vers les fenêtres », assure une riveraine. D’autres renchérissent, évoquent des caméras de surveillance « qui ne servent à rien », en appellent à l’installation « de dispositifs sonores pour éloigner les jeunes ». Alors, quoi ? Jeanne Barseghian promet un redéploiement des effectifs de la police municipale, mais rappelle que « la Ville seule ne peut pas tout faire ».
« Pourtant, ici, on a tout pour être bien ! » soupire une habitante qui vit à l’Esplanade depuis plus de 30 ans. « Strasbourg, c’est une ville monde, avec beaucoup de nationalités et où l’on vit plutôt bien ensemble », estime un fidèle des « Cafés avec la maire », lui-même titulaire d’un double passeport, en prenant le quartier pour témoin. Ce jeudi, les quelques mots d’arménien de Jeanne Barseghian n’ont pas suffi à engager la conversation avec une vieille dame non francophone. Mais comme cette dernière parlait aussi le russe, la jeune femme béninoise polyglotte a proposé de jouer les interprètes, amenant un peu de dialogue, de lien et de chaleur dans ce « Café » au départ un rien crispé.
À l’image de cette habitante de « l’immeuble à la piscine », rue d’Oslo. Âgée de 77 ans, elle a fait un crochet avant sa permanence aux Restos du cœur. Consciente de faire partie des « privilégiés », elle défend l’accès des jeunes au skatepark , face à la levée de boucliers qu’elle sent déjà dans les bassins. Le bruit est une chose, « mais les jeunes ont besoin de se défouler ! Et pendant ce temps, ils ne font pas autre chose ! » rappelle cette mère de quatre enfants qui estime que si les gens étaient moins « égoïstes », le monde se porterait mieux. Le quartier à coup sûr aussi.
© Dernières Nouvelles d’Alsace, 16 septembre 2023. – Tous droits de reproduction réservés