Tensions à l’ARES : Etienne Fleury élu nouveau président
Valérie WALCH
Etienne Fleury lors de l’assemblée générale de l’ARES.
Photo DNA/Thomas TOUSSAINT
Étienne Fleury, photographié ici en 2012.
Photo archives DNA /Myriam AIT-SIDHOUM
La vie des centres socioculturels n’est pas un long fleuve tranquille. En témoignent à Strasbourg les récents soubresauts au centre Rotterdam, ou les crispations actuelles au Cardek. Celle de l’ARES, où le CSC est porté par l’Association des résidents de l’Esplanade, qui fête cette année ses 60 ans, ne fait pas exception. En atteste l’assemblée générale épique – et parfois un brin surréaliste — qui s’est tenue mercredi soir rue d’Ankara, devant une salle comble et dans une atmosphère irrespirable (et pas seulement à cause de la température caniculaire qui y régnait).
Après une longue période de stabilité, durant laquelle le binôme président-directeur est resté le même pendant deux décennies – Claude Gassmann d’un côté, Marc Philibert de l’autre –, le revirement de situation est brutal et la zone de turbulences à sa mesure. Prévue le 23 mai, l’assemblée générale a dû être reportée en dernière minute au 28 juin. En cause, la démission, à l’issue du comité de direction du 17 mai, du président, Frédéric Duffrene, en poste depuis 2017. Quant au directeur, Fabien Urbes, arrivé aux commandes il y a deux ans quand Marc Philibert avait fait valoir ses droits à la retraite, il est en arrêt maladie.
Ce mercredi, ni l’un, ni l’autre n’assistaient à l’AG, menée tant bien que mal, comme l’ensemble du bateau ARES depuis 43 jours, par la première vice-présidente, Désirée Ohlmann. L’ex-président avait adressé un courrier au comité de direction expliquant son retrait, qui malgré la demande d’une administratrice n’a pas été lu. Il y est question « d’interférences externes et internes croissantes » ; de conflits entre salariés « qui ne doivent pas être passés sous silence ou minimisés, mais ne doivent pas non plus être exploités » ; de « membres du bureau et du CD qui avaient des échanges directs avec les salariés sur des sujets en interne » sans en référer au directeur, ni au président. Il évoque aussi un ultime comité de direction vécu « comme un tribunal à charge à l’encontre du directeur » et un « climat de tension démesurée ». Dans ce contexte, saluant « l’investissement et le sérieux » de Fabien Urbes et se sentant « mis en minorité », Frédéric Duffrene a préféré jeter l’éponge.
Des salariés inquiets
Conscients des enjeux, habitants et salariés étaient plus d’une centaine à assister à cette AG tout sauf « ordinaire », dont on pressentait dès la demande de lecture intégrale du PV de celle de 2022 qu’elle allait être tendue et riche en rebondissements. Le déroulé a confirmé les craintes, version « Dallas à l’Esplanade », avec ses alliances et ses trahisons, ses rancœurs et ses inimitiés larvées. D’autant que dans la salle, la présence de quelques « revenants » – dont Claude Gassmann et Marc Philibert — a contribué à crisper une partie de l’auditoire, tandis que l’autre y perdait son latin, perplexe devant une situation à laquelle personne ne comprenait plus rien, hormis qu’elle était délétère.
Les financeurs – État, CAF, Ville — et les élus présents ont quitté la réunion après leurs prises de parole, laissant l’ARES régler ses problèmes de gouvernance en interne. Non sans rappeler – à l’instar de Myriam Leheilleix, sous-préfète en charge de la politique de la ville, évoquant la refonte des contrats de ville qui pourrait concerner l’Esplanade début 2024 – la paupérisation grandissante du quartier. Le rôle clef, aussi, de centres sociaux comme « partenaires de confiance ». Vice-présidente de la CAF, Annick Sudermann est allée dans le même sens ; comme l’adjoint en charge de la vie associative, Guillaume Libsig. Relevant « plusieurs signaux forts alertant sur la bonne santé démocratique de l’association », il a souhaité à l’ARES de « trouver la voie de l’apaisement », au nom des habitants et de la relation de confiance.
Apaisés, les débats ne l’ont pas franchement été, hormis le temps d’évoquer une réconfortante « Opération doudous » et de présenter les rapports d’activité, très applaudis. Si le volet financier présenté par Etienne Fleury, qui n’était alors encore que trésorier, laisse apparaître un déficit de 9 000 € sur l’exercice, ce « point de vigilance » semble « maîtrisé » au regard d’un budget prévisionnel 2023 d’1,8 M€. Etienne Fleury voit le danger ailleurs. Dans la baisse drastique des heures de bénévolat, par exemple, passées de 11 822 en 2019 à 3 735 en 2022 ! Seul le rapport moral de la vice-présidente, faisant état de « tensions », « rumeurs », « dysfonctionnements » et autres « fractures à tous les étages de l’édifice », a suscité quelque opposition.
Les usagers – souvent surpris de découvrir l’ampleur de la crise — ont été unanimes pour saluer le professionnalisme, la disponibilité et les compétences d’une équipe de salariés qu’on a sentie inquiète et fragilisée. Certains redoutent qu’ « au nom du rigorisme financier, l’ARES perde de vue le cœur de sa mission » ; beaucoup insistent sur l’importance de considérer d’abord « les besoins du quartier ». Ainsi de cette maman qui, à la lecture du rapport moral, dit avoir eu l’impression « que l’ARES vole au-dessus des problèmes ». Les adhérents déplorent aussi la disparition d’ARES-Flash, certains y voyant le symbole d’une rupture de lien avec le terrain. « Sidération », « choc », des mots forts ont fusé au gré des interventions.
Pierre Jakubowicz est à ARES – Association des Résidents de l’Esplanade à Strasbourg.21 h · Strasbourg · Assemblée générale de l’ARES – Association des Résidents de l’Esplanade à Strasbourg dans une salle comble ce soir. Dans un contexte particulier pour la structure, je tenais à être présent en signe de soutien pour les équipes, salariées et bénévoles. Que l’ARES CSC retrouve vite sa sérénité pour fêter comme il se doit ses 60
« J’ai l’impression d’un putsch ! »
La tension est encore montée d’un cran quand une salariée de l’ARES, « horripilée par la situation », a dit tout haut et avec beaucoup d’émotion ce que nombre de ses collègues pensaient tout bas. Évoquant un « texte de crise aux origines douteuses » diffusé aux salariés et l’effet délétère des « rumeurs » ; s’étonnant aussi du retour soudain sur le devant de la scène « d’anciens salariés et administrateurs et d’administrateurs qu’on ne voyait plus depuis des mois ». « Quel est le rapport ? Quelles sont leurs motivations ? Personnellement, j’ai l’impression d’un putsch ! » fustige-t-elle, ovationnée par une bonne partie de la salle. D’autres se demandaient s’il s’agissait « de l’AG des salariés ou de celle des usagers », rappelant aux premiers qu’ils « ne sont pas constitués en coopérative » et que « les adhérents et membres du comité de direction restent leurs employeurs ».
Le flou, pour ne pas dire le bazar intégral, quand il s’est agi de présenter les candidatures retenues ou non au comité de direction (pour des histoires de délais de dépôt et de cotisations à jour) dans le cadre du renouvellement du tiers sortant – une gymnastique en soi, à donner la migraine au plus matheux des administrateurs, car ici la durée de mandat dépend du nombre de voix recueillies et varie d’un à trois ans ! -, n’a pas contribué à faire baisser la pression. « Méthodes cavalières », « obscurantisme » ; au formalisme revendiqué de Désirée Ohlmann répondait la colère de ceux qui se sentaient écartés, bernés et/ou manipulés.
Dans ce contexte, les retraits de candidatures de dernière minute – dont ceux des anciens directeurs Marc Philibert et Geneviève Ducros –, l’annonce de Claude Gassmann qu’il « briguerait le poste de président » s’il était élu au comité de direction ; les nombreux « recalés » et le rajout in extremis d’une candidature injustement rejetée n’ont pas non plus aidé à pacifier le climat. Pas plus que l’intervention un peu désespérée de la vice-présidente de la Fédération des CSC du Bas-Rhin, Catherine Zuber, qui a appelé chacun à « respirer et à retrouver un peu de calme ».
Un marathon de six heures
Résultat : alors que l’AG avait démarré à 19 h, il était près de 22 h 30 au moment d’examiner les 26 candidatures et de passer au vote. Et une heure du matin passé quand, à l’issue du comité de direction qui s’est tenu dans la foulée, Etienne Fleury, le trésorier de l’ARES, impliqué de longue date au sein de La Ruche 35 et de l’association Viva-Spach qu’il préside, a été élu à la présidence face à Claude Gassmann.
Ne reste plus qu’à pacifier l’ambiance – encore explosive durant le vote, nous ont remonté certains protagonistes — et à retrouver un peu de sérénité pour pouvoir fêter dignement à l’automne les 60 ans de l’ARES. C’est tout ce qu’on souhaite à l’Association des résidents de l’Esplanade et aux habitants du quartier…
© Dernières Nouvelles d’Alsace, 29 juin 2023. – Tous droits de reproduction réservés