Aux archives départementales : Charles-Gustave Stoskopf, architecte fécond, parfois contrarié, qui fit de l’Esplanade un quartier
Parmi les 40 km de rayons de documents conservés dans l’antre des archives départementales, à Strasbourg, se niche le fonds Charles-Gustave Stoskopf, objet d’un don récent. Vital pour saisir l’œuvre de l’architecte, dramaturge et peintre strasbourgeois qui a signé le quartier de l’Esplanade.
Passé des couloirs couleur béton et des portes coupe-feu de couleurs vives, se dévoile dans plusieurs magasins un quartier de l’Esplanade méconnu : des plans d’origine datés de la fin des années 1950, des dessins d’une ville nouvelle traversée parfois par une DS Citroën, des détails de fenêtres coloriés, des perspectives de tours non construites…
Essentiellement composé de documents des années 1950-1980, le fonds d’archives de l’architecte strasbourgeois Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004), conservé aux archives départementales s’est enrichi d’importants éléments iconographiques.
Ceux-ci ont fait l’objet, en novembre 2021, d’un don officiel du fils de l’architecte, Nicolas Stoskopf, à la Communauté européenne d’Alsace. Le confinement de 2020 a permis à ce dernier de faire du tri dans les documents de son père (lui-même fils d’un autre éminent Alsacien, Gustave Stoskopf) et d’en dispatcher le contenu entre les archives départementales à Strasbourg et la cité de l’architecture à Paris.
Sujets tabous
« Nous faisons le choix de ne conserver ici que des archives définitives : quand l’intérêt historique est suffisant, au-delà de l’intérêt administratif et juridique quand celui-ci a disparu », assume Marie-Ange Duvignac, conservatrice du patrimoine et adjointe de direction Aux archives départementales. Derrière le comptoir de la vaste salle de lecture où l’on consulte les documents demandés s’ouvre un antre de couloirs infinis et de magasins de conservation sur six étages.
S’y trouvent principalement des archives publiques et, depuis une quarantaine d’années, quelques archives économiques et privées : des kilomètres de documents de notaires, de cadastres, d’états civils – qui ont été numérisés -, des livres de comptes mais aussi des affiches, des maquettes, des correspondances privées, des documents audiovisuels… Triés sur le volet : « un bon archiviste jette beaucoup », selon Marie-Ange Duvignac.
Mais tout n’est pas consultable, telles les archives relatives à l’Armée française ou à l’activité nucléaire. « Et quand nous avons ouvert le fonds sur la Seconde Guerre mondiale, nous avons vu à quel point le sujet était encore tabou… »
Dramaturge et décorateur
Certes privé, le fonds Stoskopf est considéré comme exceptionnel par la conservatrice du patrimoine. « Les réflexions de l’architecte sont des témoignages de première main sur la reconstruction d’après-guerre », selon un rapport interne sur ce fonds, évoquant « des propos non dénués d’humour et d’ironie ». Rien d’étonnant : derrière l’architecte s’affichait le dramaturge aux satires grinçantes, qui fut également créateur de costumes et de décors au Centre dramatique de l’Est à Colmar.
« Mon père est devenu architecte à la fin des années 1930, quand on ne construisait plus beaucoup. Toute une génération a rongé son frein pendant une dizaine d’années, puis ce fut l’explosion de la reconstruction et les Trente Glorieuses. Il a toujours dit que sa réussite venait de sa réalisation du quai des Belges, à Strasbourg », résume son fils Nicolas, historien. À la tête d’agences à Strasbourg, Colmar puis Paris, Charles-Gustave Stoskopf a essentiellement travaillé pour la Caisse des dépôts, pour laquelle il a conçu de grands ensembles après-guerre et de nombreuses églises.
Un trou béant
« Il a construit des immeubles pour les ouvriers d’usines, de Simca et Peugeot, et beaucoup à Strasbourg. » Au total, quelque 46 000 logements auraient été conçus par Charles-Gustave Stoskopf. Avec parfois des contrariétés. « Ses cités étaient construites autour de grands axes et de perspectives terminées par des tours. À l’Esplanade, son idée était de réaliser une sorte de pendant contemporain de la Neustadt, sur les mêmes principes. » Ainsi l’avenue du Général-de-Gaulle avait-elle été pensée pour se terminer par une haute tour, qui, sous la pression des riverains, n’a jamais été réalisée. « Sa composition de l’Esplanade est restée inachevée… Une perspective, disait-il, ça se ferme. Sinon, c’est un trou béant. »
Par Anne VOUAUX
© Dernières Nouvelles d’Alsace, 11 janvier 2022. – Tous droits de reproduction réservés